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vendredi 9 juin 2017

L’obésité et ses conséquences

Le Dr Marion Nestle a obtenu son Bachelor en 1959 à l’Université de Californie, à Berkeley (États-Unis d’Amérique). Elle a ensuite obtenu un doctorat en biologie moléculaire, également à Berkeley, puis a entrepris des recherches postdoctorales en biochimie et en biologie du développement à l’Université de Brandeis et a travaillé à la Faculté de Biologie de cette université. De 1986 à 1988, elle a été Conseiller principal pour la politique nutritionnelle au Department of Health and Human Services des États-Unis d’Amérique et rédacteur de The Surgeon General’s Report on Nutrition and Health. Ses recherches portent sur les facteurs scientifiques et socioéconomiques qui influent sur les choix alimentaires, l’obésité et la sécurité sanitaire des aliments, et plus particulièrement sur le rôle du marketing des produits alimentaires. Elle est l’auteur de nombreux articles parus dans des publications professionnelles et a écrit ou co-écrit sept ouvrages, dont Why calories count: from science to politics, rédigé en collaboration avec Malden Nesheim.
L’obésité et ses conséquences

Q: Comment expliquez-vous l’augmentation du nombre de cas d’obésité. Les raisons peuvent sembler évidentes mais quel est votre point de vue?
R: L’obésité est en augmentation parce que les gens mangent davantage qu’avant. L’explication la plus simple est que les gens deviennent obèses parce qu’ils mangent plus ou qu’ils font moins d’exercice, ou les deux choses à la fois. Il y a beaucoup plus de données qui montrent une augmentation de l’apport alimentaire que de données qui montrent une baisse de la pratique d’une activité physique. Celles-ci sont peu nombreuses mais nous disposons de beaucoup d’éléments prouvant que les gens mangent davantage qu’il y a 30 ans.

Il faut donc se demander pourquoi les gens mangent plus qu’avant. Aux États-Unis, l’augmentation de l’apport alimentaire peut être attribuée à la modification des politiques agricoles dans les années 1970, période où les agriculteurs ont été payés pour produire davantage. En raison de cette évolution, les denrées alimentaires disponibles sont devenues plus caloriques. Le deuxième changement important a trait au fonctionnement des placements. La bourse de Wall Street, qui auparavant préférait les «blue chips» (actions de sociétés cotées de grande qualité), dont le rendement s’étalait sur une longue période, s’est soudain tournée vers des produits à rendement plus élevé et plus rapide.

Ces changements ont exercé une énorme pression sur les entreprises agro-alimentaires, qui devaient faire deux choses à la fois: vendre des produits sur un marché où il y avait déjà deux fois plus de nourriture qu’on ne pouvait en consommer et faire augmenter leurs bénéfices tous les 90 jours. Elles devaient trouver de nouvelles façons de vendre des denrées alimentaires. C’est pourquoi elles ont augmenté la taille des portions, elles ont favorisé la consommation d’aliments hors du domicile, au restaurant ou ailleurs, et elles ont créé des conditions telles qu’il devenait socialement acceptable de manger à n’importe quel moment de la journée et n’importe où – en voiture ou dans la rue, par exemple – alors que cela était inimaginable avant. Soudainement, il est devenu normal de se nourrir d’en-cas et on a trouvé de la nourriture à vendre absolument partout, par exemple dans les pharmacies et les magasins de vêtements, qui n’en vendaient pas auparavant. De nombreux travaux de recherche montrent que les portions plus grandes, le grignotage et la disponibilité de nourriture partout pousse à trop manger. Donc, ça a marché.

Q: Comment, selon vous, trouver un compromis entre la nécessité de donner des informations sur la santé, les dangers de l’obésité et les troubles liés au régime alimentaire et la liberté qu’ont les gens de choisir ce qu’ils veulent manger?

Moi, je une spécialiste de la santé publique, donc je pose la question: dans quel monde voulons-nous vivre? Préférons-nous les caries dentaires ou l’eau fluorée? Voulons-nous que les gens soient atteints de goitre à cause d’une carence en iode, et en subissent les conséquences, ou préférons-nous proposer du sel iodé? Il s’agit de mesures de santé publique. Pourquoi ne choisirions-nous pas de prendre des mesures de santé publique qui protègent les gens des conséquences de l’obésité? L’obésité n’est pas une maladie en soi mais elle accroît le risque de survenue de maladies qui coûtent extrêmement cher aux individus et à la société. Il vaut mieux prévenir l’obésité que la traiter car c’est plus facile.

Q: Mais, quand on s’attaque à la nourriture, c’est plus difficile parce que les gens diront toujours qu’ils veulent être libres de choisir ce qu’ils mangent, n’est-ce pas?

R: C’est le même argument qui a été avancé pour la lutte antitabac, l’eau fluorée, l’eau chlorée et d’autres mesures de santé publique très efficaces. Certaines personnes peuvent estimer qu’elles sont privées de leurs droits. En santé publique, il faut toujours trouver un compromis entre les droits des personnes et les bienfaits pour la société. Si les cas d’obésité et, par exemple, de diabète de type 2 n’étaient que des questions personnelles, la société n’aurait rien à dire à ce sujet. Mais l’obésité est également une question de société car, à un moment ou à un autre, les sujets obèses atteints de diabète de type 2 devront être traités. Comme presque personne ne peut assumer le coût d’un traitement à vie, la société, dans un souci d’éthique, a intérêt à ce que la population reste en bonne santé.

Q: Les arguments relatifs à la lutte contre l’obésité sont-ils plutôt d’ordre économique ou plutôt d’ordre sanitaire?

R: Ils relèvent autant de l’économie que de la santé. Les décideurs sont sensibles aux arguments économiques. Mais, du point de vue de la santé publique, il est préférable que la population soit en bonne santé. C’est mieux pour les individus, pour les familles et pour l’ensemble de la société.

Paradoxalement, aux États-Unis, c’est l’armée qui défend le plus les mesures de lutte contre l’obésité car elle n’arrive pas à recruter assez de gens dont le poids et la condition physique les rendent aptes au combat. L’obésité est devenue un très grave problème pour l’armée,

Q: Prend-elle donc des mesures contre l’obésité?

R: Elle agit davantage que n’importe quelle autre institution américaine car elle constate que les personnes qui souhaitent s’engager sont trop grosses par rapport aux normes fixées ou prennent tellement de poids qu’elles sont victimes d’un diabète de type 2 ou d’autres problèmes de santé, qu’il faut traiter. Elle demande à ses fournisseurs de produire des denrées plus saines et elle cherche à limiter l’apport calorique ou prend des mesures pour inciter les soldats à perdre du poids.

Q: Pensez-vous que les pouvoirs publics doivent agir plus résolument contre l’obésité?

R: Absolument, parce que l’industrie agroalimentaire ne le fera pas spontanément. Si les gens mangent moins, c’est très mauvais pour ses affaires. Même si les entreprises agroalimentaires voulaient aider les gens à manger moins, elles ne pourraient pas le faire. Ce ne sont pas des organismes de santé publique. Leur priorité est de satisfaire leurs actionnaires et d’augmenter leurs bénéfices tous les 90 jours. Les denrées alimentaires plus saines coûtent plus cher à produire. Il incombe aux pouvoirs publics de fixer des limites que toutes les entreprises agroalimentaires devront respecter. Les conditions doivent être les mêmes pour tous et ces conditions, seuls les pouvoirs publics peuvent les imposer.

Q: Mais les entreprises agroalimentaires ne sont-elles pas tenues de traiter les consommateurs avec un peu plus de respect?

R: Un responsable d’une entreprise agroalimentaire, que j’ai rencontré à Londres, m’a expliqué que son entreprise avait intérêt à ce que les gens restent en bonne santé parce qu’ainsi ils achèteraient davantage de nourriture, pendant plus longtemps. C’est peut-être vrai mais les entreprises n’ont qu’une seule obligation: faire des bénéfices. S’il faut choisir entre la croissance de l’entreprise et la fabrication de produits plus sains, c’est la croissance de l’entreprise qui l’emporte. Les entreprises ne peuvent pas aller à l’encontre de leurs intérêts économiques. Les pouvoirs publics doivent intervenir. Il faut à la fois sensibiliser le grand public, imposer des limites en ce qui concerne les pratiques de marketing de l’industrie agroalimentaire et prendre toute autre mesure susceptible de permettre aux gens de manger plus sainement.

Q: Pensez-vous que la lutte contre l’obésité va progressivement concerner les pays à revenu faible ou intermédiaire lorsque la croissance des entreprises stagnera dans les pays plus riches?

R: Ça ne fait aucun doute. Si vous regardez les courbes de la consommation de boissons sucrées, par exemple, vous constaterez que les ventes n’augmentent pas aux États-Unis d’Amérique. Elles stagnent. Mais les entreprises qui en produisent indiquent que les ventes augmentent. Où ça? Ces deux dernières années, j’ai rassemblé des articles tirés des pages économiques des journaux américains, rapportant la croissance des entreprises américaines dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ils vont tous dans le même sens: «les bénéfices sont en augmentation au quatrième trimestre grâce aux ventes en Inde». Ou en Chine. Ou en Arabie saoudite. Ou en Afrique. Parce que ces produits sont associés au développement et à d’autres valeurs culturelles, ils sont immédiatement acceptés. Les entreprises savent comment utiliser des marqueurs culturels spécifiques à des fins publicitaires. Leur stratégie marketing fait appel à l’amour, à la famille, au statut social ou à toute autre valeur affective propre au contexte culturel en question. Il s’agit de vendre des produits quels que soient leurs effets sur la santé. Les gouvernements de ces pays devraient vraiment être plus sévères à l’égard de ces pratiques et penser à leurs conséquences à long terme sur la santé et à leur coût. En 2005, une étudiante de l’Université de New York s’est rendue dans un village isolé du Guatemala pour y effectuer un travail, et elle a soudain constaté que la population consommait des produits de la marque Pepsi. L’entreprise avait donné des chariots à des villageois et effectuait les approvisionnements en camion. Son mémoire rend compte des résultats de cette politique: les gens ont pris du poids et ont eu des problèmes dentaires. Le marketing fait croire à une amélioration du statut social et donne l’illusion que le produit va aider les communautés à se développer. Dans ces conditions, les professionnels de la santé ont du mal à intervenir efficacement.

Q: Mais ces produits ne sont pas nécessairement bon marché...

R: Ils ne sont pas nécessairement bon marché mais ils sont assez bon marché et ne sont pas nécessaires du tout.

Q: Pensez-vous que la santé publique gagnera un jour le combat contre les grandes entreprises?

R: Nous avons gagné une partie du combat contre le tabac, au moins dans les pays riches. Je suis impressionnée de constater qu’il est de plus en plus admis que le problème de l’obésité tient à l’environnement alimentaire et pas seulement au comportement de chacun. Cela montre que le point de vue des spécialistes de la santé publique sur l’obésité a bien changé. Quand j’écrivais Food politics, les spécialistes de la santé publique expliquaient surtout comment apprendre aux parents à amener leurs enfants à mieux manger. Aujourd’hui, tout le monde comprend que l’obésité est le résultat d’une interaction entre la génétique et l’environnement alimentaire. C’est un grand changement.

Le meilleur exemple, ce sont les grandes portions. Vous pouvez expliquer que les grandes portions contiennent plus de calories mais les gens mangeront toujours davantage si on leur propose des grandes portions. Personne ne se comporte autrement. L’éducation ne suffit pas. Il faut changer la situation pour que manger sainement devienne facile.

Q:Pensez-vous que des organismes tels que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) luttent suffisamment contre l’obésité?

R: Ils n’en font jamais assez. Ils font leur possible. Je suis impressionnée de constater que, pour le Département de l’OMS chargé de la nutrition, les maladies non transmissibles sont aussi prioritaires que la sous-nutrition. L’OMS doit déterminer ce qu’elle peut faire pour aider ses États Membres à lutter contre l’obésité et contre la malnutrition, avec les ressources et le mandat limités dont elle dispose. L’OMS peut et doit faire preuve d’autorité morale sur ces questions.

Q: Pourquoi avez-vous écrit un livre sur les calories? [Why calories count: from science to politics, University of California Press, 2012]

R: Parler du poids, c’est parler des calories. Donc, il est aussi important, sinon plus, de faire attention aux quantités qu’on consomme qu’à ce que l’on mange.
Q: Suffit-il d’indiquer aux gens la valeur énergétique des aliments?

R: Non, et Malden Nesheim, co-auteur de l’ouvrage, et moi déconseillons cette approche car il est impossible de faire des calculs exacts, ça ne vaut pas la peine et ce n’est pas drôle. Nous préconisions de modifier l’environnement alimentaire pour que manger sainement soit si facile qu’on n’ait même pas besoin d’y penser. À mon avis, il faut réduire la taille des portions. C’est très simple, aux États-Unis, les gens prennent du poids à cause de la forte augmentation de la taille des portions. Si les portions sont plus grandes, elles contiennent plus de calories! Réduire la taille des portions, c’est une bonne mesure de santé publique.
Q: Pensez-vous que l’amélioration du régime alimentaire sera progressive?

R: Ca ne sera pas facile. La lutte contre la cigarette a duré 50 ans alors, d’après les données dont on dispose, les effets nocifs du tabac sur la santé sont beaucoup plus évidents que dans le cas de l’alimentation. Tout le monde doit manger. Intellectuellement – et politiquement –, l’obésité est un problème beaucoup plus difficile à résoudre que le tabagisme. Mais cela ne doit pas nous décourager.


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